01.03.01 |
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Traduction:
Hélène Lepoivre, Göttingen
48.
A.
Les similitudes entre les traités constitutifs des Communautés européennes
et une constitution ont très tôt conduit dans la littérature communautaire
à une définition constitutionnelle des traités. OPHÜLS renvoyait déjà au
fait qu’ils contenaient un ordre fondamental, un système cohérent dominant
le droit communautaire comme la constitution de l’Etat dans le domaine
national. Au regard des étapes de l’intégration, qui en partie étaient
seulement fixées à des moments ultérieurs, il évoqua les «constitutions
de programmation» [«Planungsverfassungen»]. Plus tard, au vu des
modifications répétées du traité, IPSEN les qualifia de «constitutions
changeantes» [«Wandelverfassungen»]. Dans les années quatre-vingt, la
doctrine tendit de plus en plus à caractériser les traités de constitution,
en se référant à la teneur de leurs règles et à leurs fonctions,
caractéristiques en partie d’une constitution. On entendait par là bien
sûr une constitution au sens de la notion normative de la constitution
développée par la théorie constitutionnelle. Aujourd’hui, au sein de la
doctrine de droit communautaire, le point de vue constitutionnel correspond à
l’opinion largement dominante. Par ailleurs, une discussion sur un nouvel
acte constituant formel est menée, lancée par des initiatives du Parlement
européen en 1984 et 1994.
[55]
49.
La
Cour de Justice européenne a tout d’abord encouragé le point de vue
constitutionnel par sa jurisprudence continuellement orientée vers les
exigences d’une Communauté de droit analogue à une jurisprudence nationale
et créatrice d’un système. Finalement, elle l’a reprise à son compte
avec la décision Les Verts de 1986 ainsi qu’avec le premier avis
consultatif sur la Convention sur l’Espace économique européen de 1991,
sans du reste le fonder ou l’éclaircir de façon plus détaillée. La Cour
constitutionnelle fédérale a, dans un sens non-technique, parlé d’une
constitution communautaire, mais ne s’est pas prononcée jusqu’à présent
sur la classification des traités dans la théorie constitutionnelle.
Cependant, dans la doctrine constitutionnelle et dans la théorie générale
de l’Etat, le point de vue constitutionnel s’est heurté de façon
prépondérante au rejet. Selon l’objection centrale, seul un Etat peut
avoir une constitution, ce qui est attesté par le recours à différentes
conceptions classiques de la constitution se rapportant à l’Etat. Selon la
deuxième objection, seul un peuple européen, lequel ne se serait cependant
pas encore formé, pourrait instituer une constitution européenne. Plus
rarement, il est fait valoir que seule une nation européenne pourrait fonder
une constitution européenne. Entre-temps, une querelle au
sujet de la constitution de l’Union européenne a éclaté, dans
laquelle il ne s’agit pas seulement de concepts: il s’agit aussi en
général de la signification politique et théorique du droit primaire de l’Union
d’un côté, du droit constitutionnel national de l’autre, et par là
aussi de la signification des institutions Union et Etat.
[56]
50.
La
querelle au sujet de la constitution de l’Union européenne reçoit une
importance particulière à raison d’une conséquence secondaire inévitable
de l’intégration, qui est déjà survenue en Europe. La constitution
nationale perd une partie de sa capacité de direction, car dans sa sphère d’influence
territoriale des forces se développent qui ne sont pas soumises à son
autorité. Par ailleurs, son autorité vis–à-vis des acteurs qui lui sont
subordonnés est ponctuellement entamée par des prétentions divergentes
issues d’un autre ordre juridique. Cette perte
d’importance des constitutions des Etats membres se manifeste
particulièrement sur le terrain des droits fondamentaux, mais aussi
concernant les principes constitutionnels matériels voire les spécificités
constitutionnelles nationales, qui en tant que telles n’ont pas de rapport
avec l’activité de l’Union. Ce développement porte atteinte à la
fonction intégrative des constitutions, sur laquelle justement l’Etat
constitutionnel moderne de la deuxième moitié du 20ème siècle s’est
appuyé. Afin de protéger aujourd’hui, au sein d’un système politique
global élargi à l’Union, ce qui autrefois était offert au sein des Etats
membres, les constitutions nationales doivent être complétées au niveau de
l’Union par une équivalence venant compenser leurs déficits fonctionnels.
Les traités constitutifs actuels de l’Union européenne ne remplissent pas
ces exigences, ce qui confère une actualité particulière aux réflexions au
sujet d’une Constitution.
[57]
51.
B.
(I.)
La question centrale de la discussion européenne au sujet d’une
constitution est de savoir si le groupement politique européen sous sa forme
actuelle peut, d’une façon générale, avoir une constitution à savoir, au
sens de la théorie constitutionnelle, est apte à avoir une constitution (capacité
constitutionnelle [Verfassungsfähigkeit]). Née et réalisée à l’époque
de l’Etat national, l’institution de la constitution est
traditionnellement liée à la forme d’organisation de l’Etat. Sa théorie
fut développée pour l’Etat, et les actes constituants historiques servant
de référence eurent lieu dans des Etats. Avec l’Union supranationale, il
existe aujourd’hui une forme d’organisation du droit international public
proche de l’Etat, et cependant des doutes subsistent sur le point de savoir
si cela autorise le transfert de l’idée de constitution. Certes, de même
que l’Etat, l’Union a besoin d’un cadre fixe, qui en dépit de toute
ouverture à l’évolution la dirige de façon sûre dans certaines voies,
créant ainsi la sécurité fondamentale caractéristique d’un Etat
constitutionnel. Pourtant sa constitution, tant dans sa légitimité (non
attribuable à un peuple d’un Etat), que dans son effet normatif
(constitution seulement complémentaire, sans primauté au sens de la
hiérarchie des normes vis à vis du droit des Etats membres) resterait
derrière celle d’un Etat
[58]
.
52.
Chaque
solution à cette question conduit à des problèmes corrélatifs. Si l’on
accepte la possibilité d’une constitution pour l’Union, le danger existe
d’une dissolution de la notion de constitution et par conséquent d’une
dévalorisation progressive de ce concept. En cas de refus et selon les
conséquences directes que l’on en tire, menace ou bien une stagnation
passagère de l’intégration suivie d’une poussée de centralisation, ou
bien un passage insuffisamment préparé et prématuré à l’Etat-fusion
géo-régional, ou bien une sape progressive de l’autorité de la
constitution par des zones «a-constitutionnelles» toujours plus étendues,
ou bien encore une nouvelle complication de l’Union supranationale par une
institution, encore à introduire, analogue à une constitution et aux effets
difficilement calculables. La théorie constitutionnelle se trouve ici à un
carrefour difficile, pouvant être circonscrit comme le dilemme constitutionnel au sein de l’intégration supranationale
[59]
.
53.
Cette
étude propose comme issue à ce dilemme constitutionnel l’inclusion
prudente de certaines formes d’organisation
non étatiques dans la théorie constitutionnelle. Il faut distinguer
entre les groupements politiques non-étatiques habituels, qui pour de
multiples raisons ne sont pas aptes à avoir une constitution et les quelques
modèles s’en détachant, pour lesquels à raison de leur analogie
particulière avec l’Etat et malgré les problèmes qui en découlent, la
réception du concept de constitution se justifie. De cette manière, la
préoccupation centrale de la théorie constitutionnelle, consistant à
pourvoir à un ordre sommaire mais fiable des rapports politiques ainsi qu’à
une orientation fondamentale et une modération de la puissance publique, se
laisse transposer à l’ère de l’étaticité relativisée et intégrée,
sans que pour cela le noyau de cette théorie, à savoir l’idée
fondamentale de la soumission de chaque détenteur du pouvoir au sein d’une
communauté politique à des prétentions juridiques supérieures, ne soit
modifié. Il s’agit par conséquent d’une continuation, non d’une
altération. Cette hypothèse de solution permet une sujétion
constitutionnelle aussi large que possible de la puissance publique, même
dans les conditions de la mondialisation et de la géo-régionalisation, et
prend par ailleurs en considération le besoin d’expérience
constitutionnelle pré-étatique dans l’organisation d’intégration
multinationale, à laquelle on pourra revenir plus tard lors de l’élaboration
d’une constitution étatique. Elle élude les conséquences négatives d’une
intégration sans constitution, sans négliger pour autant les dangers allant
de pair avec l’ouverture de la théorie constitutionnelle. C’est l’hypothèse
de solution qui fait sortir du dilemme constitutionnel avec les moindres
inconvénients.
[60]
54.
De
manière dogmatique, les groupements non étatiques se laissent intégrer dans
la théorie constitutionnelle par la distinction entre différents types de constitutions [Verfassungstypen] au sein d’une
notion de constitution comprise plus largement. Jusqu’à présent, on
distingue entre trois types de constitutions selon le genre de groupement, à
savoir la constitution étatique, la constitution de l’Etat fédéré au
sein d’un Etat fédéral, et le cas échéant la constitution de l’Union.
Les affirmations essentielles de la théorie constitutionnelle sont
applicables à tous les types de constitution. D’autres affirmations ne
valent que pour certains types de constitution et peuvent tout au plus, par
suite d’une adaptation prudente, être transposées à d’autres. La prise
en compte de groupements semblables à l’Etat ne signifie donc pas l’identification
totale d’une éventuelle constitution de l’Union avec celle d’un Etat
[61]
.
55.
Aucune
discussion au sein de la théorie constitutionnelle n’a encore été menée
quant aux conditions de la capacité
constitutionnelle, le concept de capacité constitutionnelle n’y ayant
pas encore été introduit. Par conséquent, on ne peut se baser que de façon
générale sur le sens et le but de la constitution ainsi que sur les
qualités importantes de l’Etat sous cet aspect: la préoccupation
principale et l’idée essentielle de la théorie constitutionnelle (cf. supra)
restent
centrales. La première condition est qu’il s’agisse d’un groupement, d’une
collectivité. Par ailleurs, chaque constitution est limitée à un seul
groupement particulier, pouvant cependant être un ensemble composé (principe
d’une constitution spécifique à chaque groupement). Une «constitution
européenne» proprement dite, qui soit directement liée à un territoire ou
qui unisse sous un même ordre les groupements européens juridiquement
séparés que sont l’UE, le Conseil de l’Europe et l’OSCE n’est donc
pas possible. D’autres conditions sont un niveau élevé d’organisation et
des compétences étendues, car les constitutions n’entrent en
considération que pour des groupements pleinement développés et ayant un
poids politique. Par ailleurs, il doit s’agir d’un groupement politique à
vocation générale, car l’institution de la constitution a été
développée pour l’ordre juridique de communautés humaines politiques, et
non en tant qu’instrument d’orientation pour groupements spécialisés. En
outre, il faut une autonomie suffisante lors de l’exécution des missions, étant
donné que l’institution de la constitution a pour but de servir à l’autocensure
d’appareils de pouvoir indépendants, et non à la surveillance d’auxiliaires
d’exécution. Dans le cas d’un groupement relevant du droit international
public, l’indépendance de la volonté
politique vis à vis des volontés particulières des Etats membres et de
leurs gouvernements relève aussi de cette autonomie. C’est pourquoi il faut
qu’au moins une partie significative des décisions essentielles soit remise
à des organes unitaires ou bien soumise au principe majoritaire. Si l’on
devait comprendre le compromis de Luxembourg de 1966 comme ayant force
juridique obligatoire, on devrait par conséquent nier la capacité
constitutionnelle des Communautés européennes jusqu’à la fin des années
quatre-vingt. Enfin, un groupement politique doté de la capacité
constitutionnelle doit reposer sur une communauté étroitement solidaire et
responsable comparable à une communauté étatique de destin
[«Schicksalsgemeinschaft»], car la fonction d’une constitution est aussi
celle d’un document juridique fondamental garantissant au citoyen la
protection et l’assistance de la communauté. - Dans une Union
supranationale, ces conditions sont en principe remplies. Dans certains cas,
la capacité constitutionnelle peut toutefois échouer, du fait que soit
conféré aux gouvernements des Etats membres un contrôle sur la politique de
l’Union si étendu que l’on ne puisse finalement plus parler d’une
exécution des missions autonome.
[62]
56.
(II.) La question de la définition des conditions conceptuelles de la constitution dépend au plus haut
point d’appréciations personnelles, de même que les conditions de la
capacité constitutionnelle et que beaucoup d’autres questions de la
théorie constitutionnelle. C’est pourquoi l’on ne peut formuler d’affirmations
contraignantes, telles qu’elles seraient possibles lors d’interrogations
logiques. D’après le point de vue retenu ici, les caractéristiques
nécessaires à l’efficacité de la constitution
en tant qu’institution juridique doivent exister. Ce sont pour l’essentiel
des caractéristiques formelles, mais certaines sont aussi matérielles. Il ne
peut y avoir de constitution au sens seulement formel ou matériel. C’est
pourquoi beaucoup de ce qui est qualifié de «constitution» dans la
discussion constitutionnelle européenne n’est pas vraiment reconnaissable
en tant que constitution au sens de la théorie constitutionnelle.
57.
Les
conditions formelles particulières d’une constitution de l’Union sont: un
complexe normatif édicté par un acte normatif général (pas de formation
progressive d’une constitution, pas de création d’une constitution par
formation juridique jurisprudentielle); la forme écrite; la primauté (avec
pour conséquence que la constitution de l’Union ne peut être contenue que
dans un pacte constitutionnel); un remaniement rendu difficile et enfin l’auto-identification
en tant que constitution. Les conditions matérielles d’une constitution de
l’Union sont: l’aménagement organisationnel de l’Union; la
détermination du rapport aux Etats membres (jusqu’à la mise à disposition
d’instruments de sanction pour le cas de crise où un Etat membre sort du
régime constitutionnel de l’Union); la création au sein de l’Union des
conditions juridiques nécessaires à la formation de la puissance publique
supranationale et enfin l’orientation politico-philosophique de base de l’Union.
[63]
58.
(III.)
Un problème particulier est posé par l’acte
constituant dans l’Union supranationale. Tout d’abord, le constituant
se détermine différemment que dans l’Etat. En principe, l’institution de
la constitution n’est pas établie pour un cercle particulier d’utilisateurs.
Le constituant est celui qui réussit à édicter des normes s’imposant au
sein du groupement politique qu’elles concernent avec l’autorité d’une
constitution au sens normatif. Dans l’Etat cela doit être, selon nous, le
peuple. Mais cela peut aussi être un autre détenteur de pouvoir. Au
contraire, dans l’Union supranationale le
pouvoir constituant est fixé dans les Etats membres, car la constitution
ne peut reposer, en tant que source suprême du droit dans un groupement
international, que sur un traité international constitutif aménagé comme
une constitution (pacte constitutionnel), le pouvoir juridique de produire des
traités internationaux étant, d’après le droit international public,
réservé aux Etats. Même si ceux-ci en font participer d’autres, l’acte
constituant lui-même, à savoir la conclusion du traité international en
tant que mesure produisant les normes constitutionnelles leur est
exclusivement attribuable. Il ne peut y avoir de pouvoir constituant du peuple
au sens de la théorie constitutionnelle démocratique dans une union
constitutionnelle internationale
[64]
.
59.
Cela
ne signifie cependant pas que l’intégration du peuple dans la procédure
constituante soit sans importance. Du point de vue de la théorie
constitutionnelle démocratique, la légitimité de la constitution de l’Union
doit se rapprocher autant que possible de la constitution issue du peuple. Du
point de vue de la théorie générale de l’Etat, une grande faculté d’intégration
est en outre importante, car en fin de compte la constitution de l’Union
doit compléter efficacement les constitutions des Etats membres dans leur
fonction d’intégration (cf. supra)
déjà affectée. Les deux recommandent instamment un aménagement particulier
de la procédure, où la conclusion internationale du traité sera complétée
par des étapes procédurales d’accompagnement, médiatrices de légitimité
et de force d’intégration. L’une de ces étapes est un double
référendum, par lequel les citoyens décident, en tant que citoyens de l’Union,
de l’adoption de la constitution de l’Union et simultanément, en tant que
citoyens de l’Etat, de la ratification du pacte constitutionnel par leur
Etat membre. Ils apparaissent ainsi comme appartenant à deux «peuples» au
sens de la théorie démocratique: le peuple national et un peuple de l’Union, qui certes n’est pas un peuple au sens
étatique mais qui, en tant que communauté politique et humaine universelle,
peut tout aussi bien conférer une légitimation démocratique à son
groupement politique. Une deuxième étape est la convocation d’une assemblée
«constituante» chargée de l’élaboration de la constitution, dont le
soutien nécessaire par une large discussion publique est garanti par des mesures
supplémentaires d’encouragement d’une discussion constitutionnelle
publique aux dimensions de l’Union. De telles étapes laissent
apparaître comme opportun de conclure tout d’abord un traité préliminaire
sur les modalités d’établissement de la constitution.
[65]
60.
Un autre problème particulier est posé par la révision de la constitution. La distinction entre le pouvoir
constituant originaire et le pouvoir constituant dérivé apparaît dans l’Union
supranationale à première vue problématique, la modification et la
conclusion d’un traité international tel que la constitution de l’Union
se faisant traditionnellement par les mêmes participants, à savoir les
Etats, ainsi que selon les mêmes procédures, et sa modification n’étant
soumise à aucune limite. Cependant, le droit des traités internationaux
permet de convenir d’autres procédures de révision des traités (cf. l’art.
40 al. 1er de la Convention de Vienne sur le droit des traités),
par exemple la révision par une majorité qualifiée des Etats membres ou
bien la révision autonome du traité par les organes de l’Union. Dans ce
cas, la distinction n’est pas problématique; le pouvoir de révision est un
pouvoir limité, qui est créé seulement par le traité. Nous proposons ici
trois procédures différentes, échelonnées selon la portée de la
révision, à laquelle le peuple de l’Union et le cas échéant sa
représentation doivent aussi être associés. Des révisions de moindre
importance peuvent ainsi être envisagées sans l’approbation de tous les
Etats membres.
61.
En
vertu de leur position en tant que «maîtres du traité», les Etats membres
peuvent passer outre aux dispositions du pacte constitutionnel concernant la
procédure de révision. La même chose vaut à l’égard des limites -
écrites ou non écrites - de la révision constitutionnelle. Le pouvoir des
Etats membres de conclure des traités, qui découle de la souveraineté, n’est
pas limité par l’aménagement du traité constitutif en pacte
constitutionnel. Un traité de révision extra-constitutionnel serait par
conséquent valable en droit international. Il signifierait toutefois une
rupture avec l’ordre ancien, l’abrogation tout au moins implicite de la
constitution et, le cas échéant, un nouvel acte constituant. Par là même
se perdrait la légitimation démocratique particulière qui résultait de la
procédure complexe concomitante et s’appliquait à l’ancienne
constitution, à savoir au traité constitutif sous sa forme ancienne en tant
que pacte constitutionnel.
[66]
62.
C.
Les traités constitutifs de l’Union
européenne ne sont pas une
constitution, bien qu’ils remplissent sans problème la plupart des
conditions d’une constitution. Jusqu’à l’introduction de l’astreinte
(art. 171 al. 2 [aujourd’hui art. 228 al. 2] CE, art. 143 al. 2 CEEA ),
il n’y avait pas d’instruments de sanction afin d’imposer à certains
Etats membres lors de violations substantielles du traité le retour à l’ordre
constitutionnel. Ainsi, les traités laissaient des questions en suspens qui
pour le fonctionnement de la communauté sont d’une importance
élémentaire. Jusqu’à la réforme d’Amsterdam, il manquait par ailleurs
la fixation écrite globale des valeurs fondamentales et idées directrices de
l’Union (cf. désormais l’art. 6 al. 1 TUE). Avec l’auto-identification
en tant que constitution, il
ne manque plus aujourd’hui qu’un seul trait caractéristique
indispensable de la constitution, dont la pertinence ne doit néanmoins pas
être sous-estimée. A travers lui se manifeste la détermination ‑ jusqu’ici
non existante - des Etats membres à admettre une constitution pour leur
organisation d’intégration, avec la revalorisation politique de cette Union
qui en résulte.
[67]
63.
D.
La création d’une constitution pour l’Union européenne sera l’une des
grandes tâches de cette décennie. Aujourd’hui déjà se pose par
conséquent la question des exigences
posées à la constitution de l’Union supranationale.
64.
(I.)
Du point de vue d’une théorie constitutionnelle générale relative à l’Union
supranationale, des exigences conceptuelles et rédactionnelles sont au
premier plan. La constitution de l’Union doit remplir les mêmes fonctions
que la constitution de l’Etat, pour autant que celles-ci ne soient pas
liées à l’Etat en tant que tel, et en même temps cependant tenir compte
de la dynamique de l’Union, allier continuité et changement et tenir compte
de sa nature juridique propre en tant que traité international. Tout cela en
de multiples versions linguistiques devant s’accorder le plus exactement
possible, sans par là perdre en clarté. Cela dépasse ce que la constitution
traditionnelle de l’Etat doit réaliser. Par conséquent, un acte
constituant mûrement réfléchi et non conclu à la hâte s’impose.
65.
Importante est l’exigence de transparence.
Parce que l’Union supranationale est nécessairement compliquée, sa
constitution ne doit pas conduire encore à de nouvelles complications qui
seraient évitables. Il ne doit y avoir par exemple qu’un seul document
constitutionnel, rédigé de
façon claire et pour un seul groupement politique supranational ayant une
seule personnalité juridique ainsi qu’une structure organique unique et
claire. Ce document ne devrait prévoir qu’un nombre limité de procédures
décisionnelles structurées simplement - et pour cela s’accommoder aussi le
cas échéant de pertes minimes d’efficience. Parce qu’il doit, en tant
que constitution évolutive [Wandelverfassung] d’une Union supranationale
dynamique, être plus souvent adapté aux changements de problèmes ou de
perspectives que les constitutions étatiques, il devrait faciliter les
modifications d’un point de vue technico-juridique par une construction
conséquente en modules, où les questions de même nature ou connexes
soient concentrées autant que possible dans des complexes clos de
réglementation. La réunion de toutes les règles de procédure importantes
dans un seul module serait par exemple opportune.
66.
Par ailleurs, il faut tenir compte de l’intelligibilité,
car une constitution, même la constitution de l’Union, n’est pas une
œuvre juridique pour spécialistes, mais s’adresse directement à tous les
juristes dans sa sphère d’application, ceux-ci devant en tenir compte lors
de la création, l’application et le développement jurisprudentiel du droit
ordinaire, ainsi qu’aux citoyens. Ainsi s’imposent une technique de
réglementation aussi peu compliquée que possible, une utilisation plus
flexible de clauses légales générales comme dans les constitutions
étatiques ainsi qu’un renoncement aussi étendu que possible à des
réglementations bureaucratiques détaillées. En outre, il faut un style
de langage engageant à l’identification, car une constitution n’est
pas simplement une œuvre juridique, mais aussi un manifeste politique devant
inciter chacun à s’identifier à la Communauté.
67.
Les
traités constitutifs de l’Union européenne sont, dans leur forme actuelle,
si éloignés de ces exigences, qu’une transformation et une fusion en un
pacte constitutionnel n’apparaîssent pas adéquates sans une profonde
réforme. Lors de la création d’une constitution, une partie importante du
droit primaire devra être reformulée. Seule la construction en modules avec
des secteurs de réglementation séparés est déjà réalisée par endroits
au sein de la troisième partie du traité CE, s’agissant des différentes
politiques.
[68]
68.
Du
point de vue d’une théorie constitutionnelle générale pour l’Union
supranationale, il existe aussi des exigences matérielles. Parmi elles tout d’abord
la clause d’homogénéité déjà mentionnée. Pour le reste, de nombreuses réglementations
concernant les fondements sont nécessaires, comme par exemple sur la
personnalité juridique de l’Union, sur les devoirs fondamentaux des Etats
membres, respectivement sur la fidélité fédérale au sein de l’Union,
ainsi que sur les principes de répartition des compétences. La constitution
de l’Union devrait aussi porter sur les fondements au sens strict, à savoir
tenir à disposition les règles juridiques indispensables au fonctionnement
de l’Union en tant qu’organisation supranationale d’intégration,
lesquelles pourtant, dans le cas de l’Union européenne et des Communautés
européennes, devaient être développées en grande partie par la
jurisprudence. Ainsi devrait-elle aussi aborder la validité directe du droit
de l’Union à l’intérieur des Etats, l’indépendance des ordres
juridiques supranational et étatique, ainsi que la primauté du droit de l’Union.
En outre, elle doit édicter des dispositions quant à l’exécution du droit
de l’Union, à savoir tenir prêts les instruments
de sanction pouvant aller tout à fait au-delà de ceux existant jusqu’alors
dans l’Union européenne, mais aussi contenir des solutions préventives pour l’exécution quotidienne du droit de l’Union.
Ainsi pourrait déjà figurer dans la constitution l’applicabilité
immédiate des directives après dépassement du délai de transposition ou
bien une responsabilité rigoureuse des Etats d’après le droit de l’Union.
Enfin, la constitution de l’Union doit réglementer l’adhésion, le
retrait et l’exclusion d’Etats membres ainsi que la procédure à suivre.
‑ Par contre et à raison de la dynamique de l’Union, des
affirmations générales concernant les exigences quant à l’organisation
des compétences sont à peine possibles. Les règles de compétences sont à
formuler avec prudence, afin de prévenir une interprétation excessive. Le
principe de subsidiarité devrait être en premier lieu utilisé comme un
principe général de répartition des compétences caractéristique de la
théorie générale de l’Etat.
[69]
.
69.
(II.)
Concernant les exigences spéciales à la constitution d’une Union
supranationale libérale et démocratique, l’apport de notre étude se
limite à quelques réflexions sommaires sur des considérations de départ et
des aspects particuliers. Le droit organisationnel, afin de réaliser la
démocratie à l’échelle de l’Union, devrait être aménagé de telle
manière que la légitimation démocratique soit en premier lieu transmise par
le peuple de l’Union et sa représentation populaire, alors que la
légitimation étrangère aux échelons et par là plus faible par les peuples
des Etats, lesquels sont plus éloignés de ces questions, ainsi que par les
parlements nationaux qui les représentent ne devrait être que
complémentaire (priorité démocratique
de la légitimation par le peuple de l’Union). Tout au moins, le poids
politique au sein de l’Union doit, suivant en cela les progrès de l’intégration,
passer un jour de l’organe fédéral qu’est le Conseil au Parlement de l’Union
ainsi qu’en partie à d’autres organes de l’Union élus ou légitimés
indirectement par le peuple de l’Union. Cependant, eu égard à la
légitimation supplémentaire par les peuples des Etats se trouvant derrière
les gouvernements au sein du Conseil, il suffira, dans la perspective de la
théorie démocratique, du moins pour une longue période de transition, que
les mesures essentielles ne puissent être prises sans l’accord du parlement
de l’Union. Ce dernier doit du reste être adapté à ses missions. Pour
cela, le Parlement européen doit être transformé de telle sorte qu’il ne
se compose plus des représentants «des peuples des Etats réunis dans la
Communauté» (art. 189 CE, 107 CEEA, 20 CECA) mais «du Peuple dans l’Union».
Par ailleurs, la répartition inégale
des sièges entre les Etats,
proportionnelle
à l’importance de la population, est à supprimer
parallèlement aux progrès de l’intégration.
[70]
70.
Afin de transposer l’idéal commun des droits de l’homme / de la
dignité de l’homme, la constitution de l’Union doit garantir les droits
fondamentaux et assurer leur protection effective. Pour cela, il faut un article
plus ample sur les droits fondamentaux qui ne se contente pas d’une
couverture technico-juridique, mais qui satisfasse aussi à la fonction d’intégration
de la constitution par des formulations engageant à l’identification. Par
contre, la mise au point d’un catalogue de droits fondamentaux n’est
opportune que si ce dernier constitue le résultat d’un processus intense de
découverte et d’affirmation de l’identité, auquel un public large et aux
dimensions de l’Union a participé activement. Les travaux du «comité»
institué par le Conseil européen ne doivent donc pas conduire tout de suite
au vote d’un catalogue de droits fondamentaux, mais servir de base fertile
pour une discussion européenne sur les droits fondamentaux. L’adhésion à
des conventions internationales ayant trait aux droits de l’homme ne sera
pas - en tant que garantie supplémentaire - remise en cause par un catalogue
original de droits fondamentaux. En particulier, un rattachement à la
Convention européenne des droits de l’homme en tant que complément à un
système de droits fondamentaux original n’est pas moins opportune pour l’Union
européenne que pour ses Etats membres.
71.
Afin
d’assurer le maniement constitutionnel des règles de compétences, une
constitution libérale et démocratique de l’Union ne devrait plus comporter
de règles de compétence subsidiaire sur le modèle de l’art. 235 (aujourd’hui
308) CE, 203 CEEA, 95 CECA ou bien tout au moins les maîtriser au sens de l’idée
de Communauté de droit par des conditions sévères d’ordre matériel et
formel. Par ailleurs, un recours exceptionnel sur les compétences en
tant que voie de droit particulière pour les Etats membres devrait être pris
en considération, obligeant la Cour de justice à décider une nouvelle fois
de la question de compétences, par une procédure particulière et dans une
formation élargie, par exemple en faisant appel à des juges des Cours
suprêmes des Etats membres ou des Cours constitutionnelles. En vue de l’idéal
d’Etat social en tant que valeur fondamentale de l’Union, un principe
d’Etat social général ou bien des droits sociaux fondamentaux doivent
être intégrés dans la constitution et constituer un contrepoids juridique
général aux principes structurels de politique économique ainsi qu’aux
droits fondamentaux et libertés fondamentales visant à la libre activité
économique. En outre, des compétences appropriées doivent être mises à
disposition, même pour l’utilisation de moyens de financement. Cependant,
un apport considérable à la défense de l’Etat social devra être, dans l’Union
supranationale comme dans l’Etat, fourni par les forces sociales. La
constitution de l’Union ne peut agir ici que comme soutien, en ce qu’elle
met l’accent, de façon analogue à l’art. 191 CE pour les partis
politiques, sur le rôle politique et social important de groupes d’intérêts
aux dimensions de l’Union tels que les syndicats, les associations
patronales, les associations professionnelles etc.
[71]
72.
La présente étude a révélé l’image d’une nouvelle forme d’organisation
sortant du cadre établi. C’est une forme d’organisation compliquée qui
requiert constamment de ceux qui s’en occupent un haut degré d’effort
intellectuel. Pourtant, les Européens souhaitaient la puissance énergique d’une
communauté géo-régionale en réponse aux exigences de la mondialisation et
de la géo-régionalisation, sans pour cela remettre en cause leurs valeurs
fondamentales ou bien abandonner les particularités nationales. Ils ont
trouvé une solution qui permet cela largement, ouvrant la perspective d’une
transition en douceur vers un Etat fédéral européen. Pour ce faire, la
politique, la pratique et la science doivent sans cesse réaliser de
difficiles transpositions et innovations, sans cesse briser, adapter et
développer certains concepts traditionnels bien établis de la théorie
générale de l’Etat ou de la science juridique. Mais comment une telle
solution pourrait-elle être simple?
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[55]
4-A.I.1.
[56]
4-A.I.2/3.
[57]
4-A.II/III
[58]
4-B.I.1
[59]
4-B.I.2
[60]
4-B.I.3.a/b.
[61]
4-B.I.3.c
[62]
4-B.I.3.d
[63]
4-B.II
[64]
4-B.III.1.
[65]
4-B.III.2
[66]
4-B.III.3
[67]
4-C
[68]
4-D.I.1.
[69]
4-D.I.2
[70]
4-D.II.2.a.
[71]
4-D.II.2.b-d.
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